Communiqué de presse – Juin 2020
Le droit (d’usage) du logement ne pèse pas lourd face au droit (d’abus) de propriété.
Des parlementaires travaillent à réparer la Loi qui criminalise l’occupation de bâtiments vides : une priorité en pleine crise ?
Le 16 avril dernier, une nouvelle proposition de loi sur la pénalisation du squat a été déposée à la Chambre. Elle vise à rétablir l’ensemble du dispositif pénal anti-squat – et son agressivité ! – qui avait été quelque peu atténué par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars dernier. Nous – collectif de squatteur.es, d’organisations pour le droit à l’habitat et de lutte contre la pauvreté qui avions sollicité la Cour constitutionnelle en 2018 – le répétons : l’approche pénale pour sanctionner le squat est anti-sociale, disproportionnée et inutile. Remettre cette question visant à criminaliser les personnes déjà fragiles à l’agenda du Parlement a quelque chose d’indécent et de révoltant dans le contexte actuel.
Bref rappel des faits
Le 5 octobre 2017, le Parlement fédéral votait une loi soutenue par tous les partis de la majorité, inscrivant au Code pénal l’occupation d’immeubles sans titre ni droit. Auparavant, les squatteur.es pouvaient déjà être expulsé.es au terme d’une procédure civile devant un juge de paix ou le tribunal de première instance en référé (urgence).
Jugeant cette nouvelle mesure disproportionnée et contraire au droit au logement, un collectif d’organisations pour le droit à l’habitat et de squatteur.es déposait un recours en annulation à la Cour constitutionnelle en mai 2018. Elle s’est prononcée le 12 mars dernier en annulant entièrement l’article 12 qui chargeait le procureur du roi de prendre l’ordonnance d’évacuation (ainsi que les sanctions liées au fait de ne pas obéir à cette ordonnance en restant dans les lieux).
La Cour constitutionnelle n’a donc pas annulé le caractère pénal de la loi anti-squat, mais elle nous a donné raison sur le fait qu’il faut un juge indépendant pour statuer sur l’occupation et l’expulsion, et le procureur du Roi n’offre pas toutes les garanties d’un jugement impartial. Une maigre victoire qui confirme que le droit au logement ne pèse pas très lourd face au droit de propriété.
Dans l’état actuel, si un propriétaire veut expulser les occupant.es, il doit donc emprunter la voie civile.
Nouvelle offensive pénale
Mi-avril 2020, en plein confinement, une nouvelle proposition de loi pointe le bout de son nez. Objectif : “ Rétablir les dispositions de la loi “incriminant le squat” annulées par la Cour constitutionnelle”. Comment ? En remplaçant le procureur du roi par un juge d’instruction. Pourtant, le fait de prendre une ordonnance d’expulsion des occupant.es dans les 8 jours n’est pas compatible avec le rôle d’un juge d’instruction. Cette proposition cherche donc à rétablir tout le dispositif pénal, l’ordonnance d’expulsion et les sanctions (amendes et emprisonnement) ; et ainsi redonner toute son agressivité au dispositif pénal anti-squat.
Au pire moment
La loi de 2017 n’était ni légitime ni nécessaire et portait gravement atteinte à l’effectivité du droit au logement, cette nouvelle proposition l’est encore moins : elle relève du cynisme et révèle un décalage inquiétant entre les préoccupations de la population et celles des élu.es dans une période sensible lié au confinement. Rappelons qu’au moins un million de Belges subissent actuellement une baisse de revenus liée au confinement. A cela, il faut ajouter toutes les travailleuses et travailleurs non-déclaré.es. La crise sociale actuelle et à venir est sans précédent et ses conséquences vont impacter profondément et pour longtemps des pans entiers de la population. La proposition de loi impacte ces catégories sociales fortement touchées. Les parlementaires qui la portent n’ont-ils pas d’autres priorités ?
Une atteinte inacceptable au droit au logement dans un contexte d’inégalités croissantes.
La situation actuelle rend la proposition encore plus injuste, mais elle l’était avant la crise sanitaire et le restera après. La Belgique compte environ 80 000 logements vides, et des milliers de m² de bureaux inoccupés. La spéculation immobilière va bon train, l’accès au logement est toujours plus difficile (cherté des loyers, manque criant de logements sociaux) et les services d’accueil et d’hébergement sont saturés.
Les derniers dénombrements ont montré que le nombre de personnes sans-abri à Bruxelles avait doublé en 10 ans mais aussi que le nombre de personnes sans abri habitant des occupations négociées ou des squats a augmenté d’environ 40% pour la même période (2008-2017). (La Strada, Quatrième et double édition du dénombrement des personnes sans abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. 7 novembre 2016 et 6 mars 2017)
L’occupation de bâtiments vides permet donc de réaliser le droit au logement – même s’il est précaire – de centaines de personnes, en redonnant un usage à des bâtiments qui n’en ont plus. Dans ce contexte, permettre à des personnes sans logement d’occuper des logements VIDES nous paraît être la moindre des choses. Nous trouvons stupéfiant que des occupant·es sans toit soient pénalisé.es parce qu’ils.elles séjournent dans un bâtiment laissé à l’abandon par son propriétaire.
Pour toutes ces raisons, nous demandons :
- Que l’occupation de bâtiments vides ne soit plus pénalisée mais redevienne une matière civile;
- Que le juge d’instruction ne soit pas chargé de prendre d’ordonnance d’expulsion, ce qui semble incompatible avec sa fonction mais surtout avec les garanties élémentaires d’un jugement équitable et impartial ;
- Que les tribunaux civils (justice de paix ou première instance) soient seuls habilités à juger de la légitimité de laisser à l’abandon un bâtiment (abus du droit de propriété) au regard de la mise en œuvre du droit au logement par occupation (droit d’usage).
Plus que jamais, nous restons solidaires avec l’ensemble des squatteur.euses et déterminé.es à nous opposer à cette proposition !