Colloque: Se loger, crise et solutions
# Logement public en brabant wallon
# Autres solutions
Dix questions pour tout savoir sur le logement public (Dossier complet)
Le logement public revient sur le devant de la scène. Le Réseau brabançon pour le droit au logement (RBDL) organise le 22 novembre à la Ferme du Biéreau à Louvainla- Neuve un important colloque sur l’état actuel et les perspectives en la matière. De nombreux experts défileront durant toute la journée pour évoquer les pistes et solutions. Comme le sujet n’est pas simple à cerner, Espace-vie vous donne quelques clés de compréhension.
1. Le Brabant wallon a-t-il vraiment besoin de logement public ?
Parmi les 39 000 ménages wallons en attente d’un logement public à louer, 4 800 concernent le Brabant wallon. Sans parler de ceux qui ne se sont pas signalés. Une partie de ce déficit serait résorbé si les communes atteignaient la barre de 10 % de logement public de leur parc immobilier, comme le souhaite le Gouvernement wallon. En Wallonie, le taux de couverture est de 7 %, en Brabant wallon de 4 %. Avec de grandes disparités entre les 27 communes. Le logement public, vecteur de régulation immobilière, permet de maintenir ou rétablir l’accès de tous les citoyens, fortunés ou non, au territoire du Brabant wallon. « Il est la seule manière pour certains d’avoir un « chez soi digne », estiment Michel Goffin et Nathalie Benoît, auteurs du Projet d’Action 2016-2018 du Conseil consultatif communal Affaires sociales d’Ottignies- Louvain-la-Neuve. Pour Paul Furlan, ministre wallon du Logement, « il y a aujourd’hui une réelle prise de conscience de la nécessité de créer du logement public dans la tête de pratiquement tous les responsables politiques. Avec une démographie galopante, des conditions économiques destructurées, des ménages de plus en plus nombreux et plus petits, c’est vraiment une évidence. Et les communes qui n’en veulent pas contribueront au bien commun par un mécanisme de sanction financière plus dur. »
2. Comment expliquer que la moitié des communes du Brabant wallon possède moins de 3 % de logement public ?
Le carnet des excuses des édiles communaux est bien rempli en la matière : sortir des projets prend du temps, il y a un manque de terrains, cela coute cher ou encore cela ne plaira pas à mes concitoyens. Dans l’ordre ou dans le désordre. « Les communes qui sont proactives sortent pourtant des logements, explique Nicolas Cordier, directeur de la société de logement public Notre Maison. Perwez est passé de 0 à 100 logements en deux ou trois ans et possède désormais 5 % de logements publics. »
Le Brabant wallon a un déficit historique en la matière. Les mentalités changent, mais pas chez tout le monde. La question du manque de terrains est parfois une fausse excuse. Les communes disposent de terrains, de même que les CPAS ou les Fabriques d’église. Sans parler que si le privé reconvertit des bureaux en logements, le public peut également le faire. « Aucun cadastre des terrains libres n’existe, explique Alain Malherbe, du CREAT. Il n’y a donc pas de recensement de terrains qui pourraient être destinés au logement public. Difficile donc de se prononcer. » Autre élément à prendre en compte : l’effet Nimby, qui est plus présent en Brabant wallon qu’ailleurs. « Le prix du foncier est une fausse excuse car si vous construisez une maison à 130 000 euros en Brabant wallon, elle en vaudra bien plus que dans le Hainaut, lance Nicolas Cordier. Tout s’équilibre donc. »
Un constat que ne partage toutefois pas Mathieu Michel, président de la Régie foncière provinciale, structure qui met sur le marché des logements à acquérir en-dessous des prix du marché : « Les raisons sont multiples. Les projets coutent excessivement chers à cause du prix des terrains. Les communes perdent aussi le plus souvent la main lors de l’attribution des logements, de même que sur leur gestion. Les logements qu’elles constuisent ne sont donc pas nécessairement destinés aux personnes en difficultés financières dans leur commune. Cela ne va pas. Enfin, elles ont également d’autres priorités, comme les voiries, la sécurisation des écoles, etc. J’estime que la politique de logement public doit être menée à un autre niveau de pouvoir. »
3. Pourquoi les communes qui ne respectent pas le quota wallon de 10 % de logements publics ne sont pas sanctionnées ?
Car la Région wallonne ne peut appliquer le système de sanction qu’elle a approuvé en 2013 sous l’impulsion du ministre du Logement de l’époque, Jean-Marc Nollet. L’Union des Villes et Communes de Wallonie a décelé douze failles dans cet arrêté. Il n’a donc jamais été appliqué. Le Gouvernement wallon envisage de reprendre un arrêté en la matière. « Il existe toutefois actuellement des sanctions possibles par le biais du fonds des communes », explique Alexandre Ponchaut, de la cellule Logement de l’UVCW.
Ce fonds est la principale manne de financement des communes wallonnes (1,1 milliard). 7 % de ce montant est consacré au logement. À l’avenir, les communes qui ne passent pas la barre des 10 % seront sanctionnées par ce biais, en voyant leur dotation diminuer d’année en année. « D’où l’intérêt par exemple pour Ottignies de repasser rapidement au-delà des 10 % », affirme le bourgmestre Jean-Luc Roland. De son côté, le ministre wallon du Logement, Paul Furlan, prévoit dans son nouveau Code du logement une réforme du mécanisme de sanctions : « Elles sont inapplicables aujourd’hui, estime-t-il. Nous planchons sur un nouveau système qui ne passera pas par le fonds des communes. Il est important que toutes les communes participent à l’intérêt général. »
4. Peut-on se passer du privé pour sortir des logements publics ?
Il y a deux écoles sur le sujet. Ceux qui sont braqués et ne veulent pas entendre parler du privé dans la sphère publique. « Si les sociétés de logement public font bien leur boulot, elles n’ont rien à envier au privé, lance Nicolas Cordier. En proposant du logement moyen en dessous des prix du marché, le modèle économique est finançable. »
Et il y aussi ceux qui sont plus ouverts. Certains promoteurs immobiliers produisent déjà des logements publics sous forme de charge d’urbanisme. Lors de grands projets de plusieurs centaines de logements, une commune peut parfois exiger qu’un pourcentage soit réservé à du logement public. « J’ai confiance dans le privé pour réaliser ce genre de projet, note Mathieu Michel. Par ailleurs, je pense qu’il serait bon de faire appel à l’épargne privée pour financer des projets de logements. »
À côté de cela, d’autres acteurs privés se positionnent clairement à côté des sociétés de logement public. Comme Inclusio, société d’investissement immobilier à vocation sociale. « Il y a un vrai problème d’accessibilité au logement, explique Jean-Baptiste Van Ex, directeur exécutif de la banque Degroof – Pertercam, l’un des trois partenaires du projet. Inclusio ne veut pas être un substitut en matière de logement mais une solution supplémentaire pour répondre au défi de l’accessibilité du logement. On ne veut pas se substituer au public. » Inclusio met actuellement 400 logements par an sur le marché. Il n’a encore aucun projet en Brabant wallon. « Notre objectif n’est pas que de faire du logement mais également de proposer un développement social harmonieux. » Inclusio propose un rendement financier à ses investisseurs, mais également un rendement social et sociétal.
5. Entre public et privé, existe-t-il une troisième voie ?
« La question appelle une première réflexion, explique Pascale Thys, coordinatrice d’Habitat et Participation. Celle de séparer trois « actes » constitutifs de l’habitat : la production, la gestion et la propriété. En matière de production, au vu des finances publiques et du prix de l’habitat qui rend sa production intéressante pour le secteur privé, ce type de partenariat est devenu habituel. Existe-t-il une tierce voie ? En Brabant wallon, l’Agence immobilière sociale (AIS) et les Sociétés de logement de service public (SLSP) sont ouvertes à des collaborations, y compris en direct avec des citoyens « acteurs » d’habitats solidaires. » En matière de gestion, d’autres acteurs peuvent prendre le relais. « De plus en plus d’Associations de Promotion du Logement (acteurs associatifs wallons) font de la « prise en gestion » de logements qui appartiennent à des privés ou au SLSP, afin de les mettre à disposition d’une population très précaire. Une collaboration win-win. » Enfin, en matière de propriété, l’Angleterre dispose d’un dispositif qui permet aux SLSP de favoriser l’acquisition au sein de leur propre parc de logement tout en maintenant un ‘fil sécuritaire’ en cas de gros problème. « Les habitants y sont partiellement propriétaires (exemple : 80 %) tout en restant partiellement locataires (exemple : 20 %), note Pascale Thys. Un autre moyen de rentrées financières pour le secteur… »
6. Concentrer la production de logements publics dans certaines communes, une bonne idée ?
La proposition romprait en tout cas l’équilibre d’une juste contribution. Mais quitte à voir certaines communes refuser tout logement public, pourquoi ne pas les sanctionner financièrement et favoriser d’autres entités ? Ce n’est pas si simple. « Le logement social était localisé à l’origine dans les bassins industriels, fait remarquer Alain Malherbe. On le voit à Tubize et Nivelles en Brabant wallon, qui possèdent les plus hauts taux. Le logement social est aujourd’hui devenu du logement résiduel destiné à la population faible. Je pense que tout le monde doit participer à cet effort. Concentrer ces logements dans certaines entités est une mauvaise idée. » Et Nicolas Cordier d’ajouter : « Toutes les communes ont besoin de logement public. Seulement voilà, certaines communes n’en ont pas envie sur leur territoire. C’est vraiment regrettable. » Pour Mathieu Michel, il faut toutefois « le focaliser là où il a le plus de sens, dans des lieux accessibles en transports publics plutôt qu’au milieu des champs.»
7. Faut-il privilégier le logement acquisitif ou locatif ?
Pour Roland Gillet, professeur d’Économie financière à la Sorbonne ainsi qu’à l’ULB (Solvay) et expert au niveau international, « que le logement soit produit par l’État ou le privé, le débat est le même. Et moins l’État intervient dans une décision de préférence personnelle, mieux la liberté de chacun s’exerce. En Belgique, plus de 70 % des ménages sont propriétaires et les autorités publiques ont toujours favorisé l’accès à la propriété, comme une épargne forcée, plutôt que l’accès à un logement décent. Or le besoin en logement a fort évolué : l’espérance de vie d’un mariage est de 7 ans, les frais liés à l’achat ou à la construction, comme la TVA, restent particulièrement élevés et poussent les jeunes ménages à sur-dimensionner les logements dans la perspective de futurs enfants et, enfin, la flexibilité du marché du travail pousse les gens à déménager plus souvent. En cette période d’incertitude, la location offre en outre bien plus de flexibilité. La loi protège mieux le locataire qui peut facilement mettre fin à un contrat de location quand les circonstances l’y poussent. »
8. Les opérateurs publics sont-ils suffisamment innovants ?
Certains avancent que la faible proportion de logement public est liée à un manque de créativité et d’innovation des opérateurs. Des pistes existent toutefois. Un Community land Trust va voir le jour à Louvain- la-Neuve dans la zone Athéna avec 160 logements publics et 160 logements développés par la Régie foncière provinciale. « Il y a aussi des initiatives qui visent à mutualiser le foncier, à créer de l’habitat groupé, à développer des habitats alternatifs, explique Alain Malherbe, du CREAT. Des projets qui sont encore assez marginaux mais peuvent contribuer à augmenter le parc de logement public. » Notre Maison est également en train de développer un projet à Louvain-la-Neuve, qui va permettre de faire cohabiter jeunes et seniors, une sorte de logement kangourou.
9. Rénover ou créer, quelle est la meilleure option ?
À cette question, il y a deux niveaux de réponse : celle de la politique du logement menée par le ministre Furlan et la réponse « administrative ». Pendant une décennie au moins, les différentes législatures ont privilégié la rénovation de logements publics. Et cela par le biais de différents programmes d’investissement comme le Programme exceptionnel d’investissement (1 milliard d’euros) ou le programme énergétique Pivert (400 millions). Aujourd’hui, un tiers du parc immobilier public est rénové alors qu’il faudrait, idéalement, investir des montants comparables pour mettre à niveau le restant du parc.
Dans sa Déclaration de politique régionale, le Gouvernement wallon reconnait que, compte tenu du boom démographique et d’autres défis sociologiques, la Wallonie devra construire 340 000 nouveaux logements, privés et publics, d’ici 2040. Pour répondre à cet objectif, le Gouvernement avait proposé de lancer un plan d’investissement permettant d’atteindre les objectifs régionaux de 6 000 nouveaux logements publics. Le Rapport d’activités 2015 de la SWL indique que 902 nouveaux logements ont été mis en service en Wallonie, tandis que 5 688 étaient rénovés.
10. Pourquoi cela irait-il mieux demain ?
La Wallonie est en train de boucler une grande réforme de son Code du logement. On va vers une simplification des procédures et une vision plus humaine du logement public. Le texte sera approuvé en décembre prochain par le Gouvernement. « L’objectif est clairement d’accélérer les délais de mise en oeuvre, explique le ministre wallon du Logement Paul Furlan. Il existe actuellement des plans d’ancrage (NDLR : programme d’action). Ils vont évoluer : nous donnerons dorénavant des enveloppes à chaque commune. Elles seront gérées par les Sociétés wallonnes de logement. De cette manière, tout le monde connaitra le montant octroyé à chacun en début de législature. Ces enveloppes pourront aussi être destinées à des rénovations. »
Le financement sera également revu. L’épargne privée pourra être mobilisée par un particulier pour investir dans le logement public. On lui promettra un rendement intéressant. Les agences immobilières sociales seront redynamisées et bénéficieront de davantage de crédits alors qu’une enveloppe de 220 millions d’euros sera mise à disposition des communes pour la rénovation énergétique de logements publics. De quoi atteindre la barre des 10 % en Wallonie ? Cet objectif sera impossible à tenir. Trop ambitieux lorsqu’il a été annoncé, d’autant que les moyens ne suivent pas. « Il est important par contre d’avoir une dynamique et une volonté constante de créer des logements publics, lance Paul Furlan. Les 10 % sont un objectif louable mais pas nécessairement réalistes. »
Ø Xavier Attout et Caroline Dunski