Laïcité Brabant wallon, le Réseau Brabançon du Droit au Logement (RBDL) et l’ASBL Habitat et Participation ont organisé le 25 octobre dernier la première Marche du Vide au sein de la cité du Maca. Le but de l’initiative : sensibiliser différents publics à la question du droit au logement et, plus spécifiquement, à la lutte contre l’inoccupation.
Par Annabelle Duaut – Laïcité Brabant wallon
Mercredi 25 octobre 2023. 10h. C’est sous une pluie battante digne d’un congé de Toussaint que nous rejoignons la gare de Wavre. L’objet de notre venue : l’organisation de la première « Marche du vide » au sein de la cité du Maca. Cette promenade guidée est une action locale qui s’inscrit dans une campagne régionale de lutte contre l’inoccupation portée par le RWDH (Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat). Parmi la douzaine de participant·es qui ont bravé les nombreuses gouttes ce matin-là, il y a celles qui habitent Wavre et fréquentent régulièrement l’Espace Femmes coordonné par l’ASBL Vie Féminine. Il y a aussi cette travailleuse sociale qui accompagne des publics fragilisés (issus de la rue, avec des assuétudes) dans la recherche d’un logement. Et ces deux femmes qui viennent de plus loin – Nivelles et Bruxelles – pour voir comment elles pourraient adapter le concept des marches du vide à leurs territoires respectifs. Pendant près de deux heures, le groupe de promeneurs et promeneuses arpente les rues du centre-ville de Wavre en tentant de repérer l’une ou l’autre habitation laissée vacante. « Le but de ces marches est de sensibiliser à la question de l’inoccupation et de mobiliser les citoyens et citoyennes afin qu’ils et elles s’en emparent », explique Vincent Wattiez, chargé de projets au Réseau Brabançon pour le Droit au Logement (RBDL), notamment créé par le Centre Culturel du Brabant wallon (CCBW) en 2013, et co-organisateur de l’événement.
Premier arrêt à deux jets de pierre de la gare où une masure s’impose déjà à nous. « On peut clairement présumer que la maison est vide depuis un petit temps de par le mauvais état général du logement et les toiles d’araignées qui se trouvent en bas de la porte d’entrée », souligne Brice Droumart, coordinateur du SLAC (service laïque d’action citoyenne) et cheville ouvrière des marches du vide. La première halte informative a lieu dans la galerie des Carmes pour nous livrer quelques chiffres significatifs en matière de logements vides. Pour ce point-ci, c’est Clara Adler, juriste-chargée de missions chez Habitat et Participation ainsi que co-organisatrice de la marche, qui s’en charge. À l’heure actuelle, il y aurait près de 100.000 logements vides en Wallonie[1]. Un chiffre étourdissant quand on connait les difficultés de certains foyers pour parvenir à se loger dans les limites de leur budget, sans parler des prix de l’énergie qui ont explosé depuis un an.
42.000 dossiers en attente d’un logement social
Autre chiffre interpellant : il y a actuellement 42.000 dossiers qui sont en attente d’un logement social en Wallonie[2]. Là où le bât blesse, c’est que les communes manquent cruellement de budget pour remettre en l’état les logements sociaux devenus insalubres au fil des années. La situation n’est guère plus réjouissante du côté du privé. « Au niveau du secteur privé, on constate que de nombreux étages de rez-de-chaussée commerciaux sont aujourd’hui vides parce que mal isolés, sans entrée indépendante ou inconfortables au niveau acoustique à cause des conduites qui traversent les étages », ajoute la juriste qui accompagne aussi au montage d’habitats groupés solidaires.
Afin de lutter contre ce triste fléau de l’inoccupation, le gouvernement wallon a décidé fin 2021 de mieux outiller les pouvoirs publics pour les aider à repérer les habitations vides. Depuis la rentrée 2022, les fournisseurs d’énergie peuvent désormais dévoiler aux communes les relevés de consommation en eau ou en électricité de logements suspects. Les consommations minimales d’un ménage ont été estimées à 15m³ d’eau ou 100kW d’électricité par an. En deçà de ces seuils, une habitation sera supposée inoccupée. « Quand une commune a une présomption qu’un logement est vide depuis au moins 12 mois, le dispositif légal prévoit qu’elle doit informer le ou la propriétaire de ce constat de présomption d’inoccupation », précise Clara Adler.« Celui-ci a ensuite 60 jours pour réagir et justifier cette inoccupation qui peut être due notamment à une demande de permis d’urbanisme en cours, à des travaux devant démarrer prochainement ou encore à un conflit dans une succession. » Si aucune explication valable n’est fournie par le ou la propriétaire, la commune doit inscrire ledit logement dans son registre des logements vides.
Des outils concrets pour lutter contre l’inoccupation
Clara Adler nous apprend que chaque commune peut déployer trois outils – prévus par le CWHD (Code wallon de l’habitation durable) – afin de lutter contre l’inoccupation d’un logement :
- La prise en gestion volontaire ou forcée du bien par un opérateur immobilier (communes, CPAS, AIS[3], APL[4], société de logements publics) afin de le proposer à ses publics fragilisés. Le locataire paie le loyer à l’opérateur immobilier qui le rétrocède en bout de course au propriétaire (les frais de gestion et d’entretien sont déduits ainsi que le coût éventuel des travaux).
- L’établissement d’une amende administrative (qui vient s’ajouter aux taxes) car, tout comme il est pénalisable de squatter un logement vide, c’est également une infraction de laisser un bien immobilier sans occupant ou occupante. Le montant de la taxe : entre 500 et 12.500€, selon le nombre d’étages et la taille de la façade du bien, par période de 12 mois.
- L’action en cessation. Les communes comme les associations agréées par le gouvernement wallon ayant pour objet la défense du droit au logement (par exemple le Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat) peuvent agir en cessation devant le tribunal de 1e instance pour faire cesser l’inoccupation. Le juge peut alors prendre toute mesure utile pour faire réoccuper le logement.
Le listing des logements vides doit a priori être mis à jour régulièrement par les communes et envoyé spontanément aux opérateurs immobiliers du territoire concerné.
Cette seconde marche du vide – la première a eu lieu à Ottignies en juin dernier – destinée à une série de publics a permis aux citoyens/citoyennes présents/présentes d’éduquer leur regard à l’inoccupation. « Comme au SLAC nous n’avons pas la prétention d’être des experts dans quelque domaine que ce soit, notre objectif est de connecter une série d’acteurs locaux pour tenter in fine de faire bouger les lignes à un plus large niveau autour d’un sujet en particulier, ici en l’occurrence le logement et, en filigrane, le droit à la propriété », ajoute Brice Droumart. Un travail de vulgarisation autour de cet outil d’éducation permanente comprenant notamment des outils promotionnels et des fiches d’animation est actuellement en cours afin de faire connaître plus largement les marches du vide, l’idée étant de les déployer dans les neuf communes qui ont participé en 2022 au dénombrement du sans-abrisme (Wavre, Ottignies Louvain-la-Neuve, Nivelles, Jodoigne, Tubize, Rebecq, Grez-Doiceau, Chaumont-Gistoux et Walhain). « Une suite logique » pour Brice Droumart qui était également à l’initiative de ce grand recensement jamais organisé par le passé au sein de la Province du Brabant wallon.
[1] Chiffre émanant de l’article « La Wallonie renforce sa lutte contre les logements inoccupés ». À Bruxelles, entre 17.000 et 26.400 logements seraient vides selon une étude réalisée par des chercheurs de l’ULB/la VUB en 2021.
[2] Chiffre tiré du site du PS. À Bruxelles, ils sont 50.000 à attendre un logement social.
[3] Agence Immobilière Sociale.
[4] Association de Promotion du Logement.